2015,
Bienvenue en Allemagne, bienvenue en Bavière, bienvenue à Munich!
C’était
un immense appel à l’aide.Beaucoup de personnes engagées, une
immense disposition à apporter de l’aide, „on y
arrivera“...Selon Madame Merkel.Trois ans plus tard un petit
résumé:Les personnes engagées ont disparu, disparu après avoir
beaucoup aidé, essayé d’intégrer tous ces gens qui sont venus
chez nous pour y trouver une protection, mais aussi une perspective
d’avenir.C’est justement ce que cherchaient les nombreux
Sénégalais qui sont ici: une perspective!Le Sénégal est un pays
sûr, c’est indiscutable, mais chacun n’a-t-il pas le droit de
chercher une perspective? D’aller vivre là où il se sent mieux?
Chacun d’entre nous ne ferait-il pas pareil? „Fuir n’est pas
une solution“, nous l’avons compris entre-temps, toutefois, les
Sénégalais ont dit lors d’une cérémonie à la Préfecture:
„maintenant que nous sommes là, donnez-nous une chance!“
Moiaussi, je le comprends ainsi.Depuis trois ans je me rends au
container où ils sont logés, et je trouve des jeunes gens costauds,
épris de savoir, qui ont tout essayé pour s’intégrer. Au début,
ils ont eu le droit de travailler, mais cela a vite changé,
seulement en Bavière, Car le gouvernement de la Bavière a contourné
la loi pour fabriquer sa „propre“ loi. Les permis de travail leur
ont été retirés, les apprentissages ont dû être
interrompus.C’est énormément frustrant, pas seulement pour ces
personnes-là, mais aussi pour nous, les aides, les soutiens. Nous
avons essayé de leur apprendre l’allemand, car ils n’avaient
plus droit à l’école; on a eu recours au bénévolat. Nous leur
avons montré le chemin pour aller chez le méde-cin, à l’hôpital,
aux autorités. Ils ont appris très vite, pour avoir encore une
chance, car n’était-il pasdit: celui qui s’intègre a une
chance?Mais cette chance resta lettre morte. Ils dorment beaucoup
dans la journée, la nuit, ils restent éveillés: „La Police
pourrait arriver!“ Ces jeunes hommes me demandent: „Astrid,
pourquoi est-ce que je ne peux pas travailler, pourquoi est-ce que je
ne peux pas soutenir ce pays, pourquoi est-ceque je n’ai pas le
droit d’apprendre ce que je pourrais mettre à profit plus tard
dans mon pays pour créer quelque chose de nouveau, rassembler des
expériences etc“? Je n’ai pas de réponse à leur donner en
dehors de celle qui nous est rabâchée tous les jours par les
autorités: „c’est comme ça, nous recevons les ordres d’en
haut etc.“ „Présentez
un passeport, sinon, on vous coupera les subsides. On les menace de
les mettre dans des centres de rétention où ils n’auront plus
droit à rien d’autre qu’à la nourriture et aux vêtements.Ainsi
s’accroît la criminalité et l’agressivité. La pression monte,
car ils ne peuvent plus envoyer d’argent au Sénégal. La plupart
disparaissent.Les Sénégalais ont dû se rendre à l’ambassade à
Berlin, - encore un moyen de pression - pour se faire délivrer des
papiers d’identité . Or, celle-ci ne peut que confirmer qu’ils
sont sénégalais. Cela ne suffit pas pour le gouvernement, cela ne
suffit pas pour le Service des étrangers. Et la pression continue!
On leur colle une amende de 800 à 900€, et ils sont ainsi fichés:
ils ont un casier judi-ciaire (juridiquement parlant, ceci n’est
pas conforme au droit, des procès ont été engagés et ga-gnés).
De temps en temps, la Police passe, frappe à la porte et prie ces
hommes „de partir, tout simplement“. Ils n’ont pas de papiers,
ils sont donc illégaux en Allemagne. Mais où aller? Avec cette loi,
on les force à l’illégalité, voire à la criminalité. Est-ce un
calcul?Tous les jours, je me demande: comment me sentirais-je si je
devais vivre depuis trois ans dans un container? Avec plusieurs
personnes de nations différentes, les conflits sont inévitables. De
même avec le Service de Sécurité, car ceux-ci ne comprennent
souvent ni l’allemand, ni l’anglais, ni le français. Comment
alors régler un conflit?Il n’est pas rare que la nuit,
l’électricité soit coupée, qu’ils soient en butte à des
tracas de toutes sortes, contrôles non légitimes par exemple.
Passage d’hommes accompagnés de chiens. Jusqu’àce que je n’aie
plus pu supporter cette situation. J’en ai fait part à la
Préfecture qui a mis fin à ces tortures. Tout ce que j’écris, je
l’ai vécu, j’ai vu la façon dont ils sont maltraités. Au bout
du compte,la Préfecture a changé le Service de Sécurité.
(Beaucoup sont venus par la Libye, on peut donc fa-cilement
s’imaginer ce qu’ils ont subi dans les geôles ou autres pièces
dans l’obscurité totale. Comment se sent-on quand tout à coup
c’est de nouveau l’obscurité?Encore une fois, nous avons été
„invités“. C’était la quatrième fois. Une délégation
devait venir du Sénégal pour élucider le problème des identités.
Encore un moyen de pression! Personne n’est venu. La date fixée a
été annulée deux jours avant. Entre-temps, plusieurs sont partis
en Italie, de
peur
d’être mis dans le prochain avion et de devoir dire à la famille
qu’ils ont échoué. Car c’est ain-si que le voient les familles
qui exercent une forte pression sur eux. „Astrid, nous ne pouvons
pas rentrer“. Rentrer, c’est perdre la face. L’Europe,
l’Allemagne, le pays de cocagne où l’euro pousse dans les
arbres.Les raisons de l’émigration doivent être combattues: on
érige des centres de conseil à la migration,mais ceux-ci
s’adressent plutôt à la classe moyenne, aux étudiants. Pour les
Sénégalais qui sont ici, ce n’est pas un perspective.On leur fait
briller le retour au pays en leur proposant de l’argent, mais cet
argent, cette aide qu’ils reçoivent, ne suffit pas. Ce qu’il
leur faut, c’est un projet, mais là aussi, c’est l’échec.
Cela ne peut fonctionner qu’avec un soutien 1/1, une forme de
parrainage. Avec l’aide quelques personnes, nous avons créé un
groupe de travail. Lors de nos rencontres régulières, nous
discutons sur les possibilités de retour volontaire, mais aussi du
retour en Allemagne avec un contrat d’apprentis-sage. Dans quelques
rares cas, cela a réussi, pourtant, nombreux sont encore ceux qui
sont en-core ici. Que faire? Attendre que tous soient placés dans
des centres de rétention où la vie est en-core plus difficile
qu’elle ne l’a été ces trois dernières années? Ils préfèrent
partir en Italie, en France ou en Suède ou ailleurs en Europe où
ils sont dans l’illégalité.La pression s’accentue, qui va nous
aider? Personne. Nous ne sommes plus bien nombreux parmiles aides,
ainsi, nous nous concentrons sur l’essentiel. Chacun de ceux qui
sont rentrés est „un gain“. Mais pour qui? Parmi ceux qui sont
là, un seul Sénégalais est rentré. Sa famille a accepté
leretour. Il était resté huit ans en Europe. Il a commencé à
écrire un livre. Il se trouve à Touba à pré-sent, et nous avons
gardé le contact. Cela aussi est très important. Ces hommes ont
besoin de garder le contact avec leurs aides et leurs amis.Je suis
arrivée à un point où je ne comprends plus le monde. J’ai vécu
beaucoup d’expériences, vu beaucoup de choses, ai beaucoup voyagé,
et en 2018, j’ai décidé de continuer là où j’avais ar-rêté
en 2017: Lutter pour les droits humains. Pour moi, cela signifie
depuis plus de 30 ans: aucun homme, nulle part et à n’importe
quelle époque, n’est jamais illégal!Je souhaite que la politique
migratoire trouve enfin une voie de sortie de crise, pourtant, quand
je lis les infos quotidiennes, j’en doute! Le Président du
Sénégal, Macky Sall, ne semble pas avoir un grand intérêt à voir
rentrer ses compatriotes, et cela est compréhensible car ils
envoient d’ores et déjà beaucoup d’argent à la maison,
disons-le prudemment: „aide au développement“. Il n’y a pas de
contrat pour le rapatriement, pas encore, le gouvernement offre
beaucoup d’argent mais on est encore en attente. Macky Sall dit:
„est-ce que ce sont vraiment mes compatriotes?“ Et on envoie des
délégations, des ambassadeurs, les interviews durent dix minutes au
maximum. La seule question posée: venez-vous du Sénégal, êtes-vous
prêt à rentrer? Bien sûr qu’aucun ne le veut! Cette interview
n’est donc rien d’autre qu’un signe de „bienveillance“ de
la part du gouvernement sénégalais.La pression qu’exercent
l’Europe, l’Allemagne, s’accroît. Il faudra bien agir un jour!
Qu’arrivera-t-il à tous ces hommes déportés? Qui les acceptera?
Qui s’occupera d’eux? Ils aboutiront là où le voyage pour
l’Europe a commencé, sans aucune perspective. Le gouvernement
sénégalais en fait trop peu pour la jeunesse, il faudrait bien
davantage d’écoles, car l’éducation est éminemment
im-portante. Il faudrait des postes de travail, et cela est possible!
Pourquoi fait-on venir des tra-vailleurs étrangers? Tout cela est
une question d’argent!Dans un pays où la démocratie est foulée
aux pieds, où une protestation pacifique est interdite, oùles
participants sont battus et mis en prison parce qu’ils luttent pour
une vie meilleure, pour eux-mêmes, pour leurs enfants, pour une
perspective d’avenir à laquelle chacun a droit...Le Sénégal est
un pays qui pourrait y parvenir, il est le meilleur élève de tous
les pays africains, mais là aussi, c’est le pouvoir et l’argent
qui régissent tout.L’année prochaine auront lieu les élections
présidentielles? Et dès maintenant tout est truqué. Aux dernières
élections législatives (juillet 2017) déjà, il y avait des
magouilles dans la distribution des cartes d’électeur, un paysage
politique confus et un candidat de l’opposition derrière les
verrous.Une loi migratoire allemande pourrait arrêter la migration
illégale, mais qui y trouverait intérêt? Les politiciens n’ont
guère d’influence, c’est l’économie, avec les ventes d’armes,
qui bloque tout. Contrats de libre-échange, deals, viol des lois
concernant les droits de l’homme - comment conce-voir qu’il y ait
des perspectives dans ces pays? L’Europe doit cesser de leur vendre
ses produits ; le fait qu’il y ait encore de l’esclavage est
inconcevable etc. La liste serait longue!Je soutiens actuellement une
école au Sénégal, à proximité de Kaolack, avec des dons en
argent, du matériel scolaire. Les enfants sont ravis. Le professeur
avec qui j’ai fondé ce projet est un enri-
chissement
(il fait partie du groupe ‚y en a marre‘). Nous expliquons
ensemble aux enfants que „la fuite n’est pas une solution“.
C’est le titre. Nous leur montrons des films documentaires sur les
dangers de la route vers l’Europe; nous organisons des soirées
avec les parents. Il n’est jamais trop tôt pour commencer! Ceci
est mon prochain but. Un voyage dans ce merveilleux pays qu’est le
Sénégal et que je tiens à découvrir. Les gens m’ont
impressionnée, et je voudrais en apprendre davantage. Les écoles
sont mon but, c’est là que je pourrai toucher le plupart de ces
adolescents et leur expliquer que la voie vers l’Europe est
bouchée. Ma lutte continue.
Astrid Schreiber (groupe d’aide aux
réfugiés de Aschheim)
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